Leçon de conception : Faire un tutoriel de jeu qui n'est pas à chier

On s'entend tous pour dire que 95% des tutoriels dans les jeux sont A) un incroyable fouillis; B) un ennui mortel; et C) souvent plus compliqué à comprendre que le jeu lui-même. Mon temps est limité. Quand je commence à jouer à un jeu, j'ai envie de JOUER au jeu. La dernière chose dont j'ai envie, c'est de me faire expliquer des notions abstraites dignes d'un cours universitaire, parce que tsé, sinon j'irais à l'école. Mais alors, pourquoi il y a encore une majorité de jeux qui s'entêtent à shooter au joueur, dès le début du jeu, un immense moton d'informations abstraites sur les millions de combinaisons de boutons à appuyer? D'autant plus que c'est évident que personne ne va être capable de retenir tout ça.

Bon, pour être honnête, j'ai l'impression que le problème des tutoriels est de moins en moins présent, du moins si on se limite aux jeux provenant des grosses productions. Ceux-là ne se débrouillent habituellement pas trop mal. Mais pour tout ce qui est en deçà des mégas productions (et, d'une certaine manière, tout ce qui est au dessus des petits jeux indépendants), là, on entre dans le domaine des tutoriels merdiques, longs et interminables, qui écrabouillent quiconques les croisent sous une mer de complexités. Et je ne vais même pas commencer à parler des RPG japonais. OUI, FINAL FANTASY 13! C'est toi que je regarde! TOI, avec ton tutoriel de VINGT FOUTUES HEURES!

ep1_citadel_000003Pourquoi ne peut-on pas avoir un peu plus de tutoriels comme Valve les fait? J'ai joué et rejoué un peu trop à la série des Half-Life 2 récemment. Dans chacun de ses jeux, on commence simultanément dans l'histoire ET dans l'action. Et le tutoriel dans tout ça? Vous voulez savoir où il se trouve? Il est caché! Il est discret et ne se fait pas remarquer. Y'a des petites popups qui apparaissent dans un coin de l'écran lorsque nécessaire. En fait, le tutoriel est même presque un peu inutile. Au début, le jeu ne demande au joueur qu'une capacité simple à savoir se déplacer et regarder. En particulier dans Half-Life 2 Épisode 1. Au début, les personnages nous parlent, on se déplace, on les suit. Il n'y a pas de réel danger pour le joueur, même s'il y a une impression de danger. La tour géante de la cité va s'effondrer ou exploser bientôt. Il faudrait se sauver, mais il y a des gens à sauver d'abord. Ça a l'air incroyable, inquiétant. Ça n'a surtout pas l'air d'un tutoriel, même si le jeu en profite pour nous apprendre à nous déplacer, à ramper sous les débris et à utiliser le Gravity Gun.

Link operating the Spirit Train along the Spir...Tantôt, j'ai commencé à jouer au dernier Zelda sur DS, Zelda Spirit Tracks. Contrairement au Zelda sur DS précédent, Phantom Hourglass, qui avait une cinématique d'ouverture interminable, celui-ci donne le contrôle au joueur beaucoup plus rapidement. Et rapidement, on en vient à conduire le train, et faire TCHOU-TCHOU avec le sifflet du train, ce qui est vraiment très hot et qui m'a instantanément mis un full big smile dans la face. Mais je diverge. Ce que j'ai trouvé particulièrement ingénieux, c'est quand on reçoit notre épée.

Évidemment, dans Zelda, qui dit «recevoir l'épée» dit aussi «tutoriel obligatoire et immanquable sur comment utiliser l'épée». C'est simple: tous les Zeldas depuis Ocarina of Time sont comme ça. Si vous avez joué à un Zelda, vous savez ce que je veux dire. On va avoir droit à beaucoup de blabla qui nous explique qu'on peut faire des attaques verticales et horizontales, les sauts, backflip, etc. (Petite parenthèse: Je n'ai déjà pas hâte au prochain Zelda sur Wii, qui va sans doute passer un temps fou à expliquer les mouvements avec le Wii Motion Plus. Peut-être que ça serait moins pire si Miyamoto débarquait dans mon salon en défonçant un mur.) Ensuite, on va devoir pratiquer chacune de ces attaques contre une cible ennuyeuse. Dans Majora's Mask c'était des billots de bois. Dans Wind Waker c'était un vieux monsieur. Dans Twilight Princess c'était un épouvantail. Et entre chaque pratique, le tutoriel va bien sûr nous répéter les boutons, au cas où on les aurait oubliés dans les 30 dernières secondes.

Dans Spirit Track donc, c'était beaucoup mieux. En fait, c'était tellement simple que je me demande sérieusement pourquoi, en 30 ans de game design et de tutoriels, personne n'y ait pensé. Dans Spirit Tracks, le capitaine de milice nous donne l'épée et nous désigne 3 gardes pour se pratiquer. Là on l'attend. On le voit venir! Il nous pointe les 3 gardes qui vont nous servir de cible et on sait qu'il s'apprête à nous expliquer toute la patente. On sait qu'on va à nouveau subir le très obligatoire et très ennuyeux tutoriel sur le maniement d'épée. Mais.... non. Le gars dit simplement une phrase. Une seule. Une petite phrase toute simple, mais qui révolution 30 ans de tutoriel. Il dit :

« Si tu as besoin d'aide, demande-moi. »

Quoi?! C'est tout? Pas plus de dialogues? Pas d'explications interminables que je vais devoir sauter en appuyant sur A comme un fou pour faire défiler le texte?! Eh non! Et d'ailleurs, pourquoi est-ce que ce serait nécessaire? Après 15 ans de Zeldas et de tutoriels sur le contrôle de l'épée, après Phantom Hourglass qui utilisait la même mécanique de maniement d'épée, je pense que je sais comment la manier la maudite épée! J'ai pas besoin qu'on me mette un guide d'utilisation dans la face. On n'a pas aboli les livrets d'instructions que personne ne lit jamais parce que c'est plate pour les remplacer par des tutoriels tout aussi plates, mais dont la lecture est obligatoire! Si je ne lisais pas le livret d'instruction, ce n'est pas parce qu'il était en papier et que je préférais l'avoir en version électronique. Si je ne le lisais jamais, c'est parce que c'était plate et inutile!

La mémoire ne fonctionne pas par magie. Notre cerveau ne retient pas n'importe quoi comme informations, sinon il serait plein. Il ne retient que ce qui est nécessaire. Ce n'est pas pour rien qu'on a de la difficulté à retenir des trucs par coeur à l'école. C'est parce que le cerveau n'en voit pas l'intérêt. C'est beaucoup plus éducatif de faire face à un problème et de devoir chercher un peu pour trouver la solution. Après avoir travaillé un peu, le cerveau sait que cette information-là est vraiment utile, et il va la retenir. S'il se fait donner l'information avant même que le problème ne se soit posé, le cerveau ne va rien retenir. Les tutoriels qui expliquent tout d'un coup ne font pas une très bonne job. Il faut que le joueur sente que c'est vital. Il faut, idéalement, qu'il ait expérimenté avant. Il faut qu'il ait essayé de taper des ennemis avec l'épée pour se rendre compte qu'il n'est pas très efficace. C'est seulement à ce moment-là qu'il va prêter attention et retenir les techniques d'épée. Sinon, il est fort probable qu'il ne retienne que l'attaque de base, et qu'il soit confus lorsqu'il va arriver à des ennemis plus difficiles.

À retenir :

  • Ne faites pas de tutoriels de merde
  • Le jeu lui-même devrait apprendre les instructions au joueur, sans sortir de l'histoire. Ça fait 10 ans qu'on le répète, mais il y a encore des jeux qui comprennent pas.
  • Offrez le tutoriel APRÈS, pas avant.

4 réflexions au sujet de “Leçon de conception : Faire un tutoriel de jeu qui n'est pas à chier”

  1. J'ai refait les 4-5 premiers chapitres, et je peux confirmer: j'adore la partie « plate ». Je me force à utiliser le moins possible la commande "auto-battle", et donc à garder le plein contrôle sur le leader de l'équipe, et je trouve plein de moyens d'être plus efficace que le CPU! Je scanne les ennemis, j'exploite leurs faiblesses, j'effectue des attaques hâtives, j'ajuste mon équipement selon les situations... bref, je m'amuse! Non ce n'est pas très difficile au début, mais je me fais mon fun avec ce qu'ils me donnent, et chaque nouvelle couche est comme un petit cadeau qui rend l'opération encore plus intéressante. En même temps, rejouer tout ça me fait encore mieux apprécier le rythme et la structure narrative éclatée qu'ils ont adopté pour cette partie. J'aime vraiment beaucoup le jeu, à ma grande surprise.

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  2. Ouais, mais quand ton jeu met 20 heures avant de commencer, c'est pas un peu exagéré? Y'aurait pas eu moyen de couper dans le gras et de ne garder que la partie l'fun (genre celle qui commence après 20h)? Où est passé l'adage "simple à aborder, difficile à maîtriser"?

    @Oli: ta gueule! 😛

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  3. Je suis généralement d'accord avec toi, et ton exemple de Zelda est intéressant, mais j'ai vraiment aimé comment FFXIII introduisait tranquillement ses concepts (emphase sur ''tranquillement''). Pour avoir maintenant fini le jeu, et donc vu par moi-même à quel point ça devient difficile, je suis reconnaissant de la longue période d'accoutumance qui m'a permis d'être en confiance lorsque j'ai pu enfin disposer des outils à ma guise. J'ai aimé comment la séparation du groupe me permettait d'expérimenter les hauts et les bas des combinaisons de rôles, et comment la plupart des affrontements demandaient de varier ou peaufiner graduellement mes tactiques. Remarque que c'est peut-être juste mon cerveau qui n'est pas si bien calibré pour apprivoiser ce genre de système, et qu'avec la présentation (archi-mal écrite) de l'univers au tout début ça fait vraiment beaucoup d'information à absorber, mais c'est un Final Fantasy! On y joue précisément parce qu'on veut se perdre dans un univers de stats et de fiction élaborés! Si on n'a pas envie de perdre son temps, ce n'est pas le genre de jeu dans lequel on devrait s'embarquer.

    Bref, je crois qu'un tutoriel de jeu peut être considéré inapproprié ou condescendant s'il nous inonde d'information (et surtout de texte) à propos d'un système relativement complexe, mais n'exige au fond que d'en gratter la surface. En revanche, s'il finit par récompenser l'implication, les bons choix et la maîtrise, je crois que c'est justifié. Outre la présentation visuelle, je pense que c'est l'aspect le plus réussi de FFXIII.

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