Le jeu vidéo pour les nuls - Un mode d'emploi

Les gens de mon entourage savent que j'ai accordé beaucoup d'importance au jeu vidéo dans les dernières années. J'y ai consacré du temps, j'y ai réfléchi abondamment, j'ai lu sur le sujet et j'ai développé un rapport plutôt intime avec ledit passe-temps. Et maintenant que je mène une vie passablement plus occupée, je suis heureux de voir que les habitudes et les pensées que j'ai cultivé pendant cette période me sont restées, et me suivent quand je prends la peine de jouer quelques heures. J'ai donc décidé que c'était le moment ou jamais de produire un article que j'ai eu envie de publier à quelques reprises depuis le lancement du blog, à savoir une petite liste de conseils qui peuvent mener selon moi à une meilleure appréciation de cette merveilleuse occupation.

J'essaie plus ou moins consciemment d'appliquer ces règles un peu floues à tous les jeux que j'essaie. J'échoue parfois lamentablement, et je suis parfois très agréablement surpris du résultat. Je ne pense surtout pas qu'il s'agit d'une méthode ultime et irrévocable pour atteindre une sorte d'extase divine par le biais de l'écran et de la manette. Mais je pense définitivement que ces quelques trucs bonifient mon approche du hobby, et j'espère qu'ils pourront enrichir la vôtre.

DONNEZ-VOUS DU TEMPS

C'est un facteur qui empêche beaucoup d'amateurs de s'y investir autant qu'ils voudraient, mais c'est aussi un fait indéniable: s'adonner au jeu vidéo demande du temps. Même le plus compact des ouvrages requiert une période d'apprivoisement qui, pour bien des gens, ne semble tout simplement pas valoir la peine s'ils ne prévoient pas y revenir très souvent. Et quand bien même que les meilleurs jeux sont généralement ceux qui récompensent l'implication du joueur en proposant une expérience de plus en plus complexe et intéressante au fil des heures, la plupart souffrent à un degré plus ou moins élevé de ce virus qu'on appelle communément "le remplissage", avec tout ce que cela implique de trajets superflus et de sous-quêtes redondantes.

Bien sûr, donner du temps au jeu vidéo est quelque chose de très relatif. Il y a une marge entre dégager soixante heures pour compléter Fallout 3 et s'accorder cinq minutes pour une partie de Cut the Rope, et aucun de ces investissements n'est objectivement plus "valable" qu'un autre. Il est donc moins question de réserver des cases-horaires massives à un jeu qu'on risque de laisser à moitié entamé que de faire preuve de bon jugement et de choisir les produits qu'on est le mieux à même d'apprécier en fonction de notre disponibilité.

INSTALLEZ-VOUS BIEN

Cela peut sembler évident, mais n'en est pas moins important: de la même manière que les jeux vidéo demandent un investissement de temps considérable, ils exigent de se soumettre à la volonté d'un appareil fixe, dans une position généralement immobile. La manière dont on est installé a une profonde incidence sur notre degré d'attention ou de détente, définit notre performance selon qu'on est tout à fait alerte ou légèrement confus, et certains jeux sont mieux ajustés à un niveau d'implication qu'à un autre. Mais quel que soit l'exemple, s'il y a une chose qui est constante, c'est que le confort est de rigueur.

La diversité des produits est encore une fois un facteur, et chaque format vient avec ses propres contraintes matérielles. Un appareil portable n'offre peut-être pas une expérience sensorielle aussi enveloppante qu'une console de salon, mais a le bénéfice de la flexibilité d'utilisation, qui pour certaines personnes est un argument crucial. De même, tenter de faire rouler un logiciel sur un ordinateur se situant bien en-dessous de ses exigences peut être un vrai cauchemar, mais cette plateforme comporte des avantages particuliers que les férus de jeux PC ne cesseront jamais d'évangéliser. Cela vaut même pour les jeux de Wii ou de Kinect, alors qu'un espace de jeu bien aménagé peut faire toute la différence entre une séance de torture et une partie agréable. Bref, il s'agit de s'adonner au type de jeu qui nous convient dans les meilleures conditions possibles, sans trop forcer les choses lorsque les circonstances s'avèrent moins qu'idéales.

LAISSEZ-VOUS EMBARQUER

Cette étape est à la fois primordiale et extrêmement difficile à surmonter adéquatement. Il s'agit du moment où le joueur accepte de mettre le monde extérieur à l'écart pour la durée d'une séance, et de se laisser guider par le produit fini qui s'offre à lui. Les attentes -- qu'elles soient positives ou négatives -- sont généralement hautes, souvent fautives, et il est facile de prendre ses propres exigences pour des critères absolus de qualité. Mais le jeu lui-même ne doit pas être le seul à travailler dans ce processus ; le joueur doit faire preuve d'authentique ouverture, garder ses conclusions pour plus tard, et se convaincre du mieux qu'il peut que le meilleur est à venir.

Soyons honnêtes un instant, et avouons que les jeux vidéo sont remplis de contenu d'un intérêt assez discutable. Leurs propositions narratives sont souvent minables ou peu ambitieuses, leurs réalisations esthétiques assez rarement à la hauteur de leurs intentions de base, et leurs systèmes interactifs sont souvent trop simples, trop compliqués, ou encore trop mal expliqués pour susciter instantanément l'intérêt le plus complet. "Se laisser embarquer" implique donc de faire la part des choses pendant quelque temps et de s'accrocher aux éléments qui éveillent notre imagination ou nos instincts, en écartant le reste autant que possible. C'est ce genre de cheminement qui finit par convaincre certains énergumènes de composer des odes un tantinet verbeuses à Killzone 2, par exemple.

ACCORDEZ-VOUS LE DROIT À L'ERREUR

La vraie vie est sans pitié. Les gamers endurcis l'ont compris mieux que quiconque, et c'est pourquoi ils continuent de la fuir en se repliant dans l'univers sans conséquence des jeux électroniques. Mais entre cet ermitisme légèrement pathologique et le refus complet du divertissement informatique, il y a toujours l'option de percevoir les jeux vidéo d'un oeil un peu plus neutre, voire flatteur quand ils usent vraiment bien de leur ultime trivialité: comme des sublimes espaces de croissance où l'insuccès des premiers pas est attendu, et l'amélioration toujours possible.

Tous les jeux ne sont pas Demon's Souls ou Ninja Gaiden, et tous ne sont pas déterminés à jeter à la porte les minables avortons incapables de se mesurer à leurs terribles épreuves. Mais les meilleurs jeux sont ceux qui savent rendre le châtiment juste et cohérent, comme une application logique de leurs règles et non comme une vulgaire taloche. La gestion de l'échec est un élément essentiel du dialogue que n'importe quel jeu essaie d'amorcer ; ainsi, dans la mesure où celui-ci respecte sa part du contrat, il devient intéressant de concevoir la punition comme le prix à payer, en toute connaissance de cause, pour une meilleure communication avec l'ouvrage.

PRENEZ LE JEU AU SÉRIEUX

Une fois les bases assimilées, il vient le temps de mettre un peu d'effort à la tâche et de tendre vers l'aptitude que la plupart des jeux s'efforcent de nous inculquer, c'est-à-dire de "bien" jouer. J'utilise les guillemets car aucun individu n'aura jamais raison de vous réprimander de "mal" jouer à quelque chose, mais j'en fais un point d'intérêt car il s'agit d'un des aspects que les jeux vidéo cultivent le mieux, depuis le plus longtemps, et avec un degré de sophistication toujours plus grand.

La maîtrise des systèmes, donc, est un attrait majeur. Quoiqu'on pense de la culture et de la mentalité qui l'entoure, le désir de domination partagé par chaque amateur de Call of Duty est la raison principale du triomphe commercial de la franchise, et son mérite est de favoriser efficacement l'auto-motivation et le perfectionnement. Et même lorsque l'environnement est moins compétitif, voire complètement solitaire, il y a un plaisir distinct à sentir que le fonctionnement d'un jeu nous devient tranquillement seconde nature. J'appelle cette expérience "syntoniser la fréquence" ; voguer sur la longueur d'ondes que la chose conjure, et s'y trouver à l'aise, compétent.

METTEZ-VOUS DES LIMITES

Commencer à prendre le jeu au sérieux, c'est s'exposer au risque d'en faire un peu trop. De commencer à le voir comme un travail, ou comme n'importe quelle forme d'obligation. C'est commencer à le prendre pour quelque chose de plus important que la vie.

À quoi reconnaît-on un excès exactement? Ça varie de cas en cas, mais de façon générale je dirais qu'il s'en produit un lorsque l'effort investi ne correspond plus du tout à la satisfaction éprouvée lorsque le but est atteint, ou verse carrément dans le domaine du masochisme obsessif (on le comprend quand on l'a vécu). Le phénomène des "achievements", bien que très bénéfiques à l'expérience d'un jeu quand ils sont bien utilisés, a fortement renforcé les activités de type "gossage" dans les jeux contemporains, et il est important de ne pas les prendre trop à coeur. Les jeux reposant sur un investissement monétaire à long terme ou par micro-transactions, tels que les jeux Facebook et de nombreux jeux en ligne, sont également orientés pour susciter ce genre d'excès. Il s'agit simplement d'être vigilant et de réagir quand on observe les symptômes, car c'est le joueur lui-même qui est ultimement responsable de son bien-être.

SURPRENEZ-VOUS

C'est bien beau de faire preuve d'ouverture, de laisser un jeu nous en passer des vites et de le prendre tel qu'il se présente, mais il vient un moment où le joueur se doit de revendiquer la marge de manoeuvre qui lui appartient, et de faire quelque chose avec. Bulletstorm, dont j'ai parlé en long et en large dans mon dernier article, est un exemple parfait de jeu accordant une grande importance à ce type d'exploration, mais il est bien loin d'être le seul à stimuler activement l'initiative du joueur. En fait, s'il y a une chose qui continue de faire du jeu vidéo un champ si intéressant à suivre, c'est bien l'infinité de manières qu'il y a de "personnaliser" son expérience.

Un jeu comme Minecraft permet évidemment à ceux qui sont portés vers les grands projets de se lâcher lousse et de se laisser porter par leur imagination. À l'inverse, l'intérêt partiel de jeux comme Heavy Rain ou L.A. Noire, dont la conduite visuelle et narrative s'avère excessivement dirigée, peut être de tout faire en son possible pour leur faire maintenir leur continuité et leur cohérence, avec des résultats parfois étonnants. Un jeu de rôle ou de stratégie bien conçu sera constamment renouvelé par les brillantes décisions d'un joueur expérimenté, autant qu'un expert des classiques Super Mario ne finira jamais d'en épuiser les infimes variations de parcours. Bref, la souplesse intrinsèque du jeu vidéo est une faculté puissante, et chacun en est doté dans une mesure plus ou moins grande. Il s'agit de l'identifier et de la mettre à l'épreuve comme bon nous semble.

AMUSEZ-VOUS!

Ça peut sembler redondant, voire évident, mais c'est un point sur lequel je ne pourrais assez insister, qui rassemble tous les autres, et qui se synthétise assez rapidement.

Plantez-vous. Essayez des choses qui n'ont aucun sens. Ne comprenez rien. Trouvez quelque chose qui vous plaît, et arrangez-vous pour le répéter aussi souvent que possible. Changez quand ça vous ennuie. Touchez à tout. Riez de l'histoire, ou soyez-en ému contre toute attente. Écoutez la musique. Soyez fasciné par les détails. Retardez le moment de finir, ou décidez de ne jamais y mettre fin. Ne vous faites pas chier. Pourquoi? Parce qu'on a juste une vie.

DIGÉREZ, ET RECOMMENCEZ

Passer du temps avec un jeu vidéo, c'est se donner l'occasion d'en garder un souvenir. Un souvenir qui n'a peut-être pas la même valeur qu'un voyage, une grande réussite ou une relation de longue date, mais qui n'en demeure pas moins du vécu. L'important n'est donc pas de lui accorder la dernière priorité parmi ses activités, mais de s'assurer que le temps qu'on y met n'est pas complètement perdu.

Passer du temps avec un jeu vidéo, c'est d'abord se donner la chance de mieux apprécier le suivant. C'est se donner un point de référence pour mieux comprendre les jeux du même genre, du même développeur, ou de la même année. C'est aussi se permettre d'approcher les autres périodes et les autres styles d'un oeil plus éclairé, en ayant conscience des différences, des progrès et des hybridations. C'est toujours mieux comprendre l'histoire d'un médium qui est en train de s'inventer.

Au-delà de ça, c'est se donner une chance de mieux apprécier n'importe quel ouvrage produit de main d'homme. Un jeu vidéo est un objet complexe, originant d'intentions et de paramètres longuement réfléchis, et la conscience de ce travail se réoriente facilement vers les oeuvres de toutes sortes. Ce genre de réflexe allant dans les deux sens, il est possible de ramener au jeu vidéo ce qu'on a été chercher ailleurs ; le maintien d'un ton, le sens du "pacing", la sensibilité au texte... Toutes ces pensées finissent par se mêler ensemble dans une gigantesque célébration de la créativité humaine.

Et finalement, c'est une manière comme n'importe quelle autre de dynamiser son passage sur terre. C'est s'évader ou se replier dans un monde clos, parfois dangereusement hermétique, mais qui n'en demeure pas moins un produit et un reflet du nôtre dans une certaine mesure. C'est se donner la chance de s'aider à vivre et à sentir, pour peu qu'on décide de le voir de cette façon.

2 réflexions au sujet de “Le jeu vidéo pour les nuls - Un mode d'emploi”

  1. Penses-tu VRAIMENT que je produirais un article bébé-niaiseux? ; )

    Passer le plus subtilement possible du "guide pratique" à l'éloge enthousiaste faisait partie de mes intentions, je suis content que tu l'aies perçu comme ça.

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  2. Au début, ça avait l'air d'un article un peu bébé-niaiseux, mais c'est vite devenu une élogue du médium. Pas mal! J'espère que ça va "convertir" des gens!

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