Plus gênée que ça, tu meurs! : Jeux et personnages féminins

Le 8 mars dernier, c’était la journée de la femme alors permettez moi d’écrire un article un peu féministe.

L’autre jour, j’ai passé le démo de Enslaved. C’est vraiment joli et ça m’a vraiment donné envie d’acheter le jeu. J’ai aussi bien aimé le travail d’animation en motion capture et le jeu des acteurs. C’est sûr qu’on ne les voit pas très très longtemps dans le démo (il est plutôt du genre court) mais l’ensemble de tous ces éléments m’a vraiment impressionné et m’a donné envie d’en voir plus.

Par contre, il y a un petit détail que je n’ai pas aimé. Tout était vraiment parfait sauf un seul petit détail: la fille! Quand notre personnage, Monkey, un colosse de muscle, s’échappe du vaisseau où il se trouvait prisonnier, il fait la rencontre d’une fille, Trip, qui veut s’évader elle aussi. Elle a l’air de s’y connaître en bidules électroniques parce qu’elle réussit à hacker le système, ouvrir les portes et contrôler des objets qui veulent l’attaquer. Bref, elle se débrouille bien.

Là où elle m’a tapé sur les nerfs, c’est après. Quand elle fait la rencontre de Monkey en tant que tel. Elle lui a mis un genre d’anneau explosif sur la tête et elle peut donc s’en servir pour faire obéir cette armoire à muscle et l’aider à faire ses choses à elle. Évidemment, Monkey n’est pas trop content. Il rugit et grogne et donne des coups par terre. Mais c’est sa réaction à elle qui n’est pas réaliste. Soudainement, elle semble régresser de 20 ans et avoir l’âge mental d’une fillette de 3 ans. Elle regarde Monkey avec des grands yeux gênés. On s’attend presque à voir sa mère débarquer dans la scène, pour que la fillette puisse aller se cacher derrière et s’agripper aux jupes de sa mère en faisant des yeux gênés. Elle se met à agir de façon gênée, comme si les concepteurs avaient voulu montrer qu’elle est soudainement hyper-vulnérable.

Euh... est-ce que c’est la même fille?! La même fille débrouillarde et avec l’esprit d’aventure, celle qui a réussi à s’enfuir d’un vaisseau prison? Celle qui a eu le courage de mettre un anneau de contrôle à une immense brute? Comment ça se fait que, soudainement, elle a l’air d’avoir 3 ans!? C’est super sexiste! Pas parce qu’elle est habillée de façon sexy, mais bien parce qu’elle a l’air d’une femme-enfant vulnérable avec un âge mental de fillette!

Pendant longtemps, les jeux vidéos ont toujours montré les femmes comme des bombes sexuelles avec des poitrines gigantesques et rebondissantes et avec très peu de vêtements. En fait, je parle au temps passé mais il y a encore plein de jeux qui font encore ça. Heureusement, certains studios commencent à faire attention. On commence à voir des femmes dans les jeux qui ont du linge normal, qui n’ont pas des courbes de Barbie et qui sont débrouillardes. Dans le genre, je pense notamment à Faith dans Mirror’s Edge, à Alyx Vance dans Half-Life 2 ou à Jade dans Beyond Good and Evil. Ces 3 femmes-là avaient certains points communs qui les mettent bien au dessus des personnages féminins dans les jeux. Notamment:

  1. Elles étaient habillées décemment
  2. Elles n’avaient pas un physique de filles de Playboy
  3. Elles étaient brillantes
  4. Elles étaient débrouillardes et ne nécessitaient pas la protection constante d’un homme
  5. Elles n’agissaient pas comme des cruches, gênées, innocentes ou avec un air enfantin

Si on devait résumer ça, on pourrait réduire ça à deux catégories toutes simples: le physique (qui inclue le corps et mais aussi l’habillement) et l’intellect. Pour avoir une femme forte, et par extension un personnage intéressant, ça prend une combinaison des deux.

Pour bien montrer les différences, on peut comparer ces caractéristiques avec d’autres personnages féminins.

Lara Croft de la série Tomb Raider est une icône des jeux. À une certaine époque, elle faisait les manchettes des journaux et, si ma mémoire est bonne, elle aurait même été sur la couverture de Playboy. Ce n’est pas trop surprenant: c’était un des premiers personnages de jeux avec un physique de bombe sexuelle. En plus, elle agissait comme Indiana Jones et se promenait avec des gros fusils. Ça avait beau être très polygonal, la combinaison de tous ces éléments a dû faire rêver bien des petits gars!

Si on reprend mes catégories, on se rend compte que Lara Croft ne possède qu’une seule des 2 caractéristiques. Oui, elle est intelligente et débrouillarde et n’a nullement besoin de la protection de qui que ce soit, mais côté physique, c’est clair que les développeurs ont minutieusement contrôlé son apparence pour la rendre pitoune. Elle a des formes athlétiques, des gros seins, une petite taille, des grosses fesses, des grosses lèvres et elle a même des hanches qui ont l’air encore plus larges à cause de sa ceinture remplie de pochettes et de pistolets. Les créateurs de Lara Croft l’ont dessinée ainsi pour que les gars puissent la regarder et apprécier son corps. Elle devient ainsi une icône, un objet qu’on regarde et sur lequel on est libre fantasmer.

Dans le même genre, on peut penser à Miranda dans Mass Effect 2. Elle aussi est brillante, fait bien sa job, et elle n’a pas l’air d’agir comme une fille de 8 ans ou de nécessiter une protection constante. Par contre, il suffit de voir comment les designers l’ont habillé! Elle a une combinaison de l’espace super moulante et qui laisse tout voir! Il ne manquerait plus qu’il soit transparent! C’est dommage parce que ça ne fonctionne pas avec son caractère. Miranda est brillante et n’a pas l’air d’une femme qui veut montrer ses fesses à tout l’équipage, mais c’est ainsi qu’ils l’ont habillée. Selon moi, c’est un mauvais choix de design de la part de ceux qui ont choisi son costume.

À l’inverse, prenons l’exemple de la princesse Zelda, en particulier dans Zelda Twilight Princess. On ne peut certainement pas dire qu’elle a un physique de Lara Croft. Pendant la majorité du jeu, elle se cache sous une cape qui ne laisse voir que ses yeux. Et le reste du temps, elle a une robe de style moyenâgeux qui est très jolie, mais qui n’a pas été conçue dans le seul but de montrer ses formes. Par contre, foutu qu’elle n’est pas débrouillarde! Sans Link, elle n’arriverait jamais à rien! Elle n’est même pas capable de tirer des flèches sur Ganon...

Pour d’autres exemples de filles habillées décemment et avec un physique ordinaire mais avec une attitude complètement nunuche, on peut penser à la princesse Peach. À part se faire capturer constamment, on ne sait pas trop ce qu’elle fait réellement avec son titre de princesse. Elle n’a pas l’air de gouverner grand-chose! On pourrait aussi inclure la fille dans ICO, Yorda. Peach et Yorda n’ont pas un physique de femme-objet, mais elles en ont l’attitude. Elles ne savent pas se débrouiller et sont super vulnérables. Dans le cas de Yorda, ça passe encore parce que c’était ça le concept du jeu, mais ça reste que c’est toujours les personnages féminins qui sont réduits à servir d’objet à protéger dans les jeux. Et, pour revenir à Trip de Enslaved, c’est dans cette même catégorie que je la placerais. Pas particulièrement ouvertement sexuelle dans son physique, mais pas très débrouillarde pour le reste.

C’est dommage que les jeux doivent encore recourir à des clichés aussi évidents pour faire leurs personnages féminins. C’est dommage parce que ça donne comme résultat des personnages unidimensionnels qui ne sont là que pour être jolis ou être vulnérables (ou les deux). Est-ce que c’est le seul moyen d’attirer l’attention des joueurs? Est-ce que c’est les seules variables que les gars gamers sont capables de comprendre?

Je veux dire... arrêtez donc de nous prendre pour des imbéciles!

5 réflexions au sujet de “Plus gênée que ça, tu meurs! : Jeux et personnages féminins”

  1. Je suis peut-être pas un gros gamers, mais je suis pas d'accord avec le fait que les jeux sont si sexiste que ça... Y a tellement de jeux qui prennent les gars pour des imbéciles et d'autres qui prennent les gens de d'autres pays ou d'autres races comme des 2 de piques. Le contexte s'y prête peut-être ou c'est le scénario qui le veux, pourquoi toujours chercher la bête noir?

    Répondre
  2. C'est très correct d'avoir pris cet exemple comme point de départ. La manière dont ils introduisent le personnage n'est pas parfaite, porte à confusion, et le jeu est très loin d'être dépourvu de stéréotypes en tous genres. C'est normal et même souhaitable de critiquer les restants de "moyen" dans les oeuvres qui se démarquent de la norme, ne serait-ce que légèrement.

    Répondre
  3. Je me rends compte que mon exemple d'Enslaved n'était pas un très bon exemple. Mais c'était mon point de départ. C'est la goutte qui a fait débordé le vase. Et je comprends que c'était l'effet qui était voulu et recherché par les concepteurs du jeu.

    C'est juste que les jeux sont tellement souvent sexistes que ça m'a rendu en maudit de voir que, même dans Enslaved qui avait pourtant l'air si bien parti, on reste quand même dans les stéréotypes.

    Mais bon. J'ai pas encore joué au jeu complet alors j'aurais peut-être dû retenir mon billet au lieu de parler dans mon chapeau comme d'habitude.

    Répondre
  4. Bon, ç'a pris du temps mais j'ai promis un commentaire alors voilà.

    J'ai passé beaucoup de temps avec Enslaved, et je te dirais que son traitement du personnage féminin et du rapport homme/femme est non seulement un peu plus subtil que ton impression du démo, mais plus délicat que ce qui se fait dans les jeux en général. En gros, je crois que le jeu s'intéresse non seulement à la différence des deux protagonistes au niveau du sexe, mais aussi entre leurs modes de vie respectifs, ceux qui les définissent depuis toujours. Oui Monkey est le protecteur musclé, et Trip est la petite fille vulnérable, du moins au départ ; mais le jeu ne suggère pas clairement la supériorité de l'un sur l'autre, et la vision qu'il propose en est une de dépendance mutuelle.

    L'aventure qu'ils partagent est une occasion d'apprendre à se connaître en tant qu'individus, mais aussi de se familiariser avec un rapport au monde qui leur est étranger. Leurs backgrounds leur attribuent des compétences particulières qui, dans le contexte d'une odyssée périlleuse, deviennent complémentaires. Et si j'ai l'air de faire paraître ça un peu gros, je dirais qu'une des forces du scénario c'est justement de ne pas verbaliser de manière trop évidente le message qu'il veut nous faire passer. C'est la conclusion que j'en ai tiré à partir des pistes relativement incomplètes qu'il laisse, mais libre à chacun de lui donner un sens.

    Finalement, j'ai aussi énormément apprécié que la relation ne débouche pas sur une romance traditionnelle. Il y a un attachement qui se crée, définitivement, mais il y a une ambiguïté dans la nature exacte de ce rapport qui, selon les standards de jeu vidéo, est vraiment impressionnante. Non seulement une grosse part de notre compréhension de leur dynamique se fait à travers le gameplay, mais encore une fois il y a du non-dit et du langage corporel subtil qui laisse une place à l'interprétation personnelle. À ce niveau-là, ça paraît qu'un scénariste de cinéma expérimenté est aux commandes.

    Pour ce qui est des autres exemples (ceux que tu nommes et ceux que tu oublies ou ignores), on aura l'occasion d'en reparler, et il y a déjà eu un peu d'échange sur Facebook. C'est un sujet riche!

    Répondre

Laisser un commentaire