2010 en revue - Freedom Bridge et Loneliness

Au mois d'août dernier, Jordan Magnuson, fondateur du précieux TIGSource et du très intéressant Necessary Games, amorçait le financement public d'une initiative assez hors du commun: entamant un tour du monde d'une durée indéterminée, le designer promettait de concevoir au moins un jeu vidéo par pays visité, s'inspirant des phénomènes qu'il observerait en cours de route. L'entreprise atteignit son objectif monétaire, le voyage a présentement lieu... mais les oeuvres manquent à l'appel pour l'instant. Ce qui inspire néanmoins confiance dans le projet, outre la vidéo de présentation ci-dessus, ce sont deux jeux expérimentaux conçus durant le long séjour de Magnuson en Corée, où il travaillait comme enseignant. Des efforts certes bien modestes, mais tout de même porteurs et exemplaires d'une démarche singulière.

Freedom Bridge et Loneliness représentent un penchant "artistique" du design de jeu vidéo (souvent nommé "art-game", ou encore "notgame" plus récemment) que plusieurs amateurs s'avèrent incapables de tolérer, pour des raisons qu'ils sont libres de justifier. Mais réalité radicale exige forme radicale ; sans dire qu'il n'y aurait d'autres manières d'aborder ces thèmes, les sujets graves que Magnuson choisit de mettre en jeu (la cruauté de la frontière entre les deux Corées, l'incapacité de communiquer pouvant mener au suicide) justifient amplement un traitement sans fard, aussi dépouillé que possible. Les embellir ou les complexifier serait courir le risque d'en diluer le propos extrêmement direct, dont l'impact dramatique est d'autant plus fort qu'il y est vécu intimement, dans la minutie de la conduite que le joueur choisit d'adopter. C'est en effet du rapport entre l'avatar et l'aire de navigation, et donc d'un mode de livraison spécifique au médium interactif, qu'émerge ici le sens.

Voilà donc deux des meilleurs exemples, simples mais percutants, que cette branche créative nous a donné cette année. Tout en souhaitant qu'il varie et peaufine quelque peu sa forme, espérons que les futurs "carnets" de Jordan Magnuson manifesteront une pareille maîtrise du design affectif et de son potentiel documentaire.

6 réflexions au sujet de “2010 en revue - Freedom Bridge et Loneliness”

  1. Ouais mais en même temps, c'est pareil pour les films expérimentaux ou même n'importe quel art abstrait. On a de la difficulté à s'accrocher alors on trébuche parfois sur des éléments hors sujets.

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  2. C'est des excuses valides. Y'a une raison pourquoi tant de gens doutent des bidules interactifs comme véhicules d'expression: le langage des actions et du visuel abstrait est beaucoup plus difficile à SENTIR que les histoires racontées avec des mots et des acteurs, par exemple. Mais ça s'apprivoise.

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  3. Ben... C'est sûr que j'ai fait le saut en maudit à la fin (sur le pont). Ça je m'y attendait pas pentoute. Mais pour le reste, je pense que j'ai juste accroché sur des détails qui m'ont fait décroché. Par exemple, je regardais les traces de sang et je me disais «ah, c'est un algorithme de points aléatoires intéressant. Je me demande lequel il a utilisé». Ou alors, je regardais les petits carrés qui s'enfuyait et je me disais «lol, on dirait des explosions de polygones comme dans les vieux jeux d'Atari». Tsé, c'est pas que j'ai pas compris le message, c'est juste que j'ai été distrait par plein de détails. Peut-être que je suis juste plus sensible aux mots qu'aux actions...

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  4. Loneliness j'ai trouvé ça fort avant d'arriver à la fin. J'ai trouvé ça prenant de ne pas être capable de résister à la tentation d'approcher les groupes, et la musique complétait bien cette émotion. Freedom vaut pour le moment de réalisation, mais aussi pour le rapport direct avec l'avatar. Le ralentissement du déplacement et l'épaississement de la trail de sang sont des touches subtiles mais puissantes selon moi. C'est correct si tu les as pas senti, mais je pense que dans les deux l'exécution est à la hauteur des ambitions simples mais précises.

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  5. Heureusement qu'il donne une explication à la fin parce que sinon....

    En fait, je trouve que le moment où ça devient fort, c'est quand le texte arrive et explique. Autrement, bof...

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