Comme si c'était la dernière fois - Final Fantasy XIII

Il paraît qu'on a juste une vie. Suffit de voir ce qu'on fait avec. Pour ma part, j'ai eu l'occasion de passer la récente canicule montréalaise à traverser Final Fantasy XIII. Probablement pas la façon la plus constructive d'occuper son temps, mais au lieu de garder pour moi les réflexions que l'expérience m'a inspirées (comme j'ai l'habitude de le faire), je tenterai de les organiser du mieux que je peux au fil des prochains paragraphes. Et c'est parti!

Mes collègues narF et Mathieu ont partagé récemment quelques pensées concernant les problèmes du «RPG» traditionnel. Ils ont abordé notamment la question des statistiques, amusantes à faire grimper mais généralement sans lien concret avec l'histoire, et de l'investissement de temps colossal que ces jeux nécessitent habituellement. Pour ma part, je dirais que s'il est vrai qu'il est possible d'abuser de ces aspects au point de les rendre carrément offensants, ils demeurent indispensables à l'investissement émotionnel particulier que ces jeux cherchent à provoquer. Au risque de passer pour un maniaque, j'avancerais que l'objectif suprême d'un bon jeu de rôle devrait être de donner au joueur l'impression que la quête en cours n'est rien de moins que la chose la plus importante au monde. La progression de niveaux et la durée extensive, ne serait-ce que par l'attention qu'elles demandent, facilitent évidemment une telle tâche. Mais le contenu sous-jacent mérite-t'il vraiment qu'on s'y attarde?

Beaucoup de jeux de rôle ne s'encombrent pas trop de justifier leurs événements par une intention narrative claire, et c'est souvent cette qualité qui les rend intéressants. Ils établissent des situations et laissent le joueur se débrouiller avec le système, définir le protagoniste par ses agissements. Les Final Fantasy, quant à eux, ont ceci de particulier qu'ils n'ont jamais vraiment laissé d'espaces «blancs» permettant au joueur de s'insérer en douce dans la trame prédéfinie (comme le fait encore la vénérable série Dragon Quest, avec ses avatars silencieux). Le « rôle » occupé ici par le joueur s'apparente davantage à celui d'un observateur, placé en retrait d'un groupe d'aventuriers entièrement distincts de sa personne. Au mieux, on dira qu'il supervise les opérations et veille au bon déroulement du récit ; au pire, qu'il assiste, complice mais finalement assez impuissant, à la réalisation d'un parcours qui ne le concerne qu'en diagonale.

Évidemment, les intermèdes «cinématiques» n'ont jamais aidé à réduire la distance entre le joueur et l'objet de sa participation, et Final Fantasy XIII est loin d'être une exception à cette règle: assez mal dosé durant les premières heures, le procédé prend tout le soin de définir à notre place qui fait quoi, comment, et pourquoi, en plus de nuire à l'apprivoisement de mécaniques de jeu plutôt obscures, et de nous engloutir sans la moindre délicatesse dans son fouillis de termes fantastiques. Inapte à jauger les facultés d'adaptation du joueur-spectateur, le jeu se contente de lui en mettre plein la vue alors qu'il est encore impressionnable, et le tout en arrive au point où il est très possible de se faire une idée assez complète de la nature d'un personnage avant même d'en avoir pris les commandes (personnellement, je n'aurais pas pu être moins captivé par les tribulations du très «héroïque» Snow). Cela dit, il faut bien reconnaître que les séquences narratives se veulent ici plus que des simples «récompenses» pour flatter le joueur dans son ego. Comme la série Metal Gear Solid, Final Fantasy XIII a des thèmes à explorer, des caractères à dévoiler, et fait preuve d'une ambition artistique admirable.

Hélas, j'aimerais bien pouvoir vanter la virtuosité à l'oeuvre dans ces interludes, mais le fait est qu'il s'agit véritablement de l'aspect le plus désagréable de Final Fantasy XIII. Le blâme en revient principalement à une écriture lourde, redondante, qui verbalise de manière terriblement littérale les bouleversements des protagonistes (comme s'il ne suffisait pas de les détailler textuellement, point par point, dans les occasionnelles capsules récapitulatives). Rarement les personnages ne semblent intéressés par quoi que ce soit qui ne concerne pas directement l'action en cours, ni ne s'expriment d'une façon qui suggère une psychologie particulièrement développée, ou même tout simplement crédible. Quant à la mise en scène, bien que spectaculaire lorsque les événements le demandent, elle se contente généralement de contempler sagement les émois du groupe, et dépend de la musique sirupeuse pour accentuer ses dégoulinements plus intenses. Considérant le traitement narratif à ce point ordinaire, qui voudrait donc poursuivre l'intrigue jusqu'au bout?

C'est ici que le «jeu» à proprement parler entre en jeu, et que je regrette ma connaissance trop approximative des douze dernières années de la série, ne pouvant pas très bien déterminer comment s'y compare le plus récent opus. Ce que je peux dire cependant, c'est que mon expérience personnelle de Final Fantasy demeure marquée par l'image d'une série de destinations à rejoindre, de trajets bien définis à parcourir au meilleur de mes compétences. Bien des amateurs semblent en désaccord sur ce point, percevant l'exploration libre comme une donnée fondamentale de l'épopée. Et c'est précisément à ces derniers que ce treizième titre a déplu, se déroulant pour la majeure partie en une belle ligne droite à peine déguisée. Une décision qu'il serait facile de tourner en dérision sans trop y penser, mais dont la persistance et la présentation curieusement franche font réfléchir.

Ce que j'avancerais comme argument à la défense de ce design linéaire, c'est que bien des jeux contemporains ont rendu l'acte d'explorer beaucoup plus intéressant que ne l'ont fait les Final Fantasy au fil des années, et que les séquences de combat, d'une toute autre dynamique, ont toujours été une sorte de «mal nécessaire» qui entravait la circulation. En revanche, les divers systèmes de combat présentés par la série se sont avérés constamment inventifs et stimulants; parfois confondants ou excessivement vaniteux dans leur présentation (les «summons» de Final Fantasy VIII...), mais toujours solides et relativement expérimentaux. C'est pourquoi j'applaudis personnellement la décision de centrer le jeu sur cet élément, qui risque d'en aliéner plusieurs par sa répétition pure et simple, mais qu'un design époustouflant rend non seulement très accrocheur, mais aussi tout à fait pertinent à l'ensemble.

En éliminant de son programme les villages et autres distractions, le jeu perd certainement un peu du côté «humain» qui a longtemps fait le charme des jeux de rôle japonais, ainsi que la variété qui faisait paraître les précédentes aventures encore plus expansives. De ce format révisé, il résulte cependant une rigoureuse focalisation qui manque souvent aux jeux plus relâchés dans leur conduite. Dans Final Fantasy XIII, chaque affrontement équivaut à un pas de plus vers l'accomplissement de la quête. Leur succession est méticuleusement agencée pour mettre à l'épreuve des habiletés précises, et leur nombre est ajusté pour n'exiger qu'un minimum de labeur supplémentaire (ce qu'on appelle affectueusement le «grind»). De la même manière, les diverses couches du système sont débloquées à un rythme pour le moins tranquille (qui en mit plus d'un en furie), et les nouveaux équipements sont distribués à des intervalles bien espacés, évitant à tout moment la saturation d'options. L'intention qui justifie à mon avis une telle structure? Laisser le joueur mesurer allègrement les étapes de sa progression, et accentuer l'impact de la trame narrative.

Un peu ironiquement, dans ce jeu dont la grande histoire est entièrement déterminée à l'avance, ce sont donc les séquences interactives qui se retrouvent à porter le plus grand poids dramatique. En effet, il suffit de concevoir l'interminable enchaînement de combats comme un fascinant laboratoire d'expérimentation ludique pour que leur nombre et leur indéniable similitude formelle s'allège considérablement. Envisager l'ensemble du jeu comme une série de plateaux, de monts et de vallées (comme le suggère en quelque sorte ce brillant article de Simon Ferrari), aide aussi à mieux apprécier les équivalences entre les développements narratifs et les épreuves qui les encadrent. Pour ne nommer que cet exemple, la déjà fameuse «ouverture» du monde, succédant à des séquences longues et très exigeantes, correspond aussi au moment où le groupe devient entièrement configurable au gré du joueur, faisant l'effet d'une véritable bouffée d'air. Après une nouvelle série de corridors soigneusement pavés, il est également possible de revenir à ce grand espace afin de préparer la séquence finale, très réussie en termes de relâchement cathartique pur.

Au bout du parcours, le joueur se retrouve donc avec l'impression d'avoir mené ses joyeux lurons jusqu'au bout du monde, et sauver l'univers n'aura que rarement paru aussi satisfaisant. Il est simplement étrange que cette sensation de triomphe ne dépende à peu près aucunement des revirements tortueux, des graphismes époustouflants, et de la ballade de Leona Lewis qui ponctue l'épilogue. Et c'est là le plus gros problème de Final Fantasy XIII: constamment incapables d'articuler clairement ce qu'ils veulent communiquer, les scénaristes et autres artisans ressentent le besoin de répéter, de surexpliquer, de renforcer artificiellement le drame de leurs situations, au lieu de s'appuyer plus fermement sur un système de combat brillant, capable de transmettre à lui seul un message à peine moins profond. Cette espèce d'hystérie dans la livraison narrative trahit un manque de confiance et de direction, ce qui n'est jamais une bonne chose dans le cadre d'une entreprise technologique et financière aussi titanesque.

Quelques observations générales pour conclure ces élucubrations. Tout en surface, il ne fait aucun doute que Final Fantasy XIII est une expérience visuelle à couper le souffle, soutenue par des thèmes musicaux fort mémorables et des prestations vocales tout à fait compétentes (Ali Hillis mérite une mention spéciale pour son interprétation de Lightning, héroïne somme toute assez banale quand on s'y arrête un instant). Pris sous l'angle traditionnel de la fantasie d'évasion, il s'agit d'un jeu vidéo assemblé de main experte, qui récompense éventuellement l'investissement cérébral par un déluge de sensations fortes. Il est simplement dommage que l'univers passionnant qu'il nous présente (et que je laisserai à d'autres le soin d'analyser) aurait mérité une intrigue plus substantielle, mieux racontée, qui justifierait plus aisément le plongeon d'une soixantaine d'heures nécessaire à sa traversée. Dans sa forme actuelle, Final Fantasy XIII se recommande facilement au gamer peu sollicité ; le grand mariage ludo-narratif, quant à lui, est ailleurs.

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3 réflexions au sujet de “Comme si c'était la dernière fois - Final Fantasy XIII”

  1. Mais de rien!

    Je ne connais pas ce Jim Sterling, mais j'ai trouvé très drôle son petit texte. Tout est décrit de façon médicale et même pire. C'était drôle justement parce que j'ai déjà lu des reviews écrites de cette manière.

    «You might also find weapon leveling useful but that's only if you find weapon leveling useful, so whether or not you find weapon leveling useful is down to how useful you ultimately find weapon leveling». Une phrase comme ça, c'est terriblement vrai! Impossible d'argumenter! Hahahaha!

    Là, il va juste falloir éviter que ce blogue ne devienne un défouloir contre les JRPG! Niak! 😛

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  2. Merci des commentaires. Concernant le vocabulaire et tout... j'ai ma façon de travailler, mais j'espère simplement que je suis pas en train d'intimider qui que ce soit parmi les rédacteurs potentiels. Je suis plus exigeant envers ma propre écriture qu'envers celle des autres, et je crois pas qu'un texte doit absolument être tout dense et abusivement fignolé pour mériter qu'on s'y intéresse. Voilà, je voulais mettre ça au clair.

    Ta remarque sur la « non-subjectivité » de la critique me fait penser à cet "article" "satirique" de Jim Sterling, qui "porte" sur Final Fantasy XIII justement (http://www.destructoid.com/100-objective-review-final-fantasy-xiii-179178.phtml). Sterling est à mon avis la plus grosse plaie qui sévit dans le journalisme de jeux vidéo, et je ne lui accorderais pas la moindre attention si sa mentalité d'homme des cavernes ne semblait pas s'attirer autant la faveur d'un noyau de gamers endurcis. J'entends lutter, par la pratique, contre l'espèce de croyance débile qu'il est impossible de concilier de manière équilibrée le jugement de valeur et la description relativement sobre, et j'espère parvenir à convaincre un public plus ouvert que les jeux vidéo sont dignes d'un examen critique plus complet que la simple "review" à l'intention du consommateur.

    Concernant les personnages de FF, il n'y a aucun doute que ce sont des clichés gros comme le bras, du moins en apparence. Comme le dit Tim Rogers avec son traditionnel mordant, c'est évident que chacun est méticuleusement conçu dans le but premier de devenir le personnage préféré de "quelqu'un", "quelque part". Et même si je suis toujours prêt à donner le bénéfice du doute, les problèmes d'écriture de FFXIII sont vraiment très graves, et c'est probablement ce qui me frustre le plus: Square Enix ont beau disposer de tout l'argent de l'univers, ils n'ont aucune FOUTUE idée de comment raconter une histoire, lui donner de l'épaisseur, la rendre captivante, vraie. Ils ne savent que fabriquer de l'« émotion » en plastique, au prix de toute forme de concision, de bon goût et de vraisemblance.

    Bref, ça suck.

    C'est en arrêtant d'essayer de tout comprendre du premier coup, en épluchant l'encyclopédie feuille par feuille, et surtout en plongeant vraiment dans le système de combat que j'ai pu arriver à apprécier ce que le jeu me donnait. J'ai dû me rendre à l'évidence que l'histoire n'allait pas être aussi touchante et profonde que j'avais espéré, mais au moins j'ai fini par ressentir un authentique attachement aux personnages et un goût d'amener l'aventure à sa conclusion. Cependant, il me semble que c'est beaucoup de travail pour si peu, et ce n'est pas vrai que tout le monde a le temps, la patience et l'indulgence pour aller jusque-là et compenser finalement pour la paresse des développeurs. En gros je dirais que j'ai adoré L'EXPÉRIENCE du jeu, le travail mental et les sensations que j'ai vécu, mais pas sa présentation à l'état brut. C'est ce que j'ai essayé de faire comprendre dans ma critique, mais j'aurais sûrement pu être plus clair.

    Et puis concernant Dragon Quest... Honnêtement, j'étais heureux que Final Fantasy me permette d'évacuer certaines pensées générales sur le RPG, surtout en ce qui touche au temps et à l'investissement émotionnel. Je pensais plus trop écrire dessus, surtout parce que c'est tellement intensément personnel comme expérience, mais DQ a quand même beaucoup d'aspects complètement uniques qui mériteraient d'être décomposés. Ton commentaire m'encourage à essayer, mais avant ça je crois que je vais passer un peu de temps avec le nouveau...

    Ah et merci d'avoir ajouté le lien vers l'entrevue avec l'employé de BioWare, j'avais pensé le mentionner dans un de mes commentaires précédents mais ça m'était sorti de la tête.

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  3. Heureusement que t'es là pour rehausser le niveau d'intelligence de ce blogue (et aussi le niveau de vocabulaire). C'est clair que tu as INT+40 et VOCAB+50. J'aime particulièrement comment tu expliques avec beaucoup de beaux mots le fait que les personnages sont cons et insignifiants. Habituellement, tout ce que je trouve à dire comme mot c'est «cliché» et je me rend compte que c'est plutôt inexact.

    Autre détail que je trouve amusant: après avoir lu ton article, on arrive pas à être sûr si tu as aimé le jeu ou pas. C'est drôle... mais c'est aussi probablement le signe d'une bonne critique. Ça dit comment sont les choses et ça ne donne pas trop d'opinion.

    En passant, faudra aussi que tu nous raconte tes périples avec DQ8! 😀

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